ÖD. « L’ODYSSÉE DES GÈNES »
Cette installation visuelle et sonore explore le conditionnement des schémas de programmation et d’identification informatiques ainsi que la représentation ethnique historique de mon décryptage ADN, en mettant en lumière le décalage entre l’histoire collective et l’histoire intime. L’œuvre se déploie dans un espace de la dimension d’une cathédrale, mesurant 10 x 20 x 6 mètres, offrant un lieu de recueillement et de réflexion sur la place des individus qui ne correspondent pas aux normes sociales établies. Les cases vides révèlent une histoire qui n’est pas écrite.
L’œuvre confronte divers modèles de mappemonde utilisés pour représenter les continents (tels que la projection de Mercator, la projection de Peters, la projection de Robinson et la projection de Mollweide) avec des représentations artistiques ressemblant à des portraits ou des autoportraits générés par une IA à partir de photographies de l’artiste lui-même. Ces images sont disposées sur les continents comme un cartes d’identité pixels, révélant des cases vides qui témoignent de l’histoire effacée – une autre histoire qui dénote avec celle les conquêtes.
Les caractéristiques physiques de l’auteur cohabitent avec l’algorithme de reconnaissance faciale du programme IA. Les traits négroïdes, les cheveux frisés, le vitiligo capillaire se mêlent aux grains de beauté, aux imperfections de la peau. Moustache noire, barbe blanche, les yeux tombants en amandes…
Avec des origines génétiques africaines, européennes et asiatiques, j’ai décidé de participer à cette expérience en prenant des photos de moi-même sous tous les angles, permettant ainsi à l’intelligence artificielle de réinterpréter mes traits et de les mettre en relation avec la base de donnée ethnique du programme. Cette démarche s’inspire de la tradition iconographique du portrait, en intégrant les codes de représentation picturaux propres à différentes civilisations et différents maîtres de la peinture.
Les portraits ainsi créés sont intégrés dans les mappemondes de pixels pour mettre en évidence les cases manquantes, révélant une à absence de la moitié de la population mondiale. Le programme génératif a délibérément écarté un aspect crucial de l’histoire : le point de vue des civilisations asiatiques, pré-colombiennes et africaines pré-coloniales, contribuant ainsi à une histoire volontairement occultée par le politique. Cette histoire parallèle évoque des thèmes tels que la réécriture, l’exil, le déni, les défaites et la marchandisation du vivant.
Dans l’écho du silence, parfois, les murmures deviennent des écritures / des paroles / des éclats de voix . Au cœur du programme qui m’a permis de réaliser l’odyssée des gènes, au travers de la découpe des continents, l’œuvre puzzle culturel accueille les visiteurs avec une gravité muette.
Dans l’application Time Machine, la représentation de la période de la préhistoire défie le stéréotype d’un « barbare imaginaire », perçu comme l’étranger de l’ombre, l’humain du versant méconnu du monde. Puis, on traverse les grandes civilisations du bassin méditerranéen, mettant l’accent sur leur opulence. Cependant, cette mise en avant exclut de nombreuses grandes civilisations à travers le monde. Les portraits picturaux évoquent les Vikings, les Francs, les Germains, les Maures et les Juifs, mais ne rendent pas compte de la diversité culturelle et historique mondiale.
Des civilisations telles que l’Empire du Mali, l’Empire songhaï, l’Empire d’Abyssinie en Afrique, les Huns d’Asie ou les civilisations maya et aztèque en Amérique, sont ignorées. De même, des périodes de transition et de développement important dans d’autres régions du monde, comme la Révolution américaine, les révolutions latino-américaines, la révolte des Cipayes, la révolution chinoise, la guerre de Nouvelle-Zélande, et les révoltes et guerres d’indépendance en Afrique, ne sont pas prises en compte. Ces absences entravent la prise de conscience de l’impact et des héritages de la transmission du savoir. Enfin, les mouvements d’émancipation du XXe siècle pour les droits civils, des femmes, des LGBTQ+ et pour l’indépendance nationale sont brièvement mentionnés, mais ne reflètent pas l’ampleur et la diversité des luttes pour la justice et l’égalité dans le monde entier.
Dans ma légende familiale, les récits transmis par mes aïeuls évoquent des liens avec le Kenya et la Guinée en Afrique, ainsi qu’avec l’Italie pour l’Europe, et des liens plus flous avec les peuples amérindiens des Caraïbes et d’Indo-Asie. Le test ADN My Heritage a apporté un nouvel éclairage sur mon histoire génétique. Il a révélé que le Nigeria et les territoires environnants étaient un point de départ évident pour retracer mes origines africaines, évitant ainsi l’Italie, puis remontant jusqu’à la Normandie du côté des Saxons avant de se diriger vers les Balkans en Europe, pour finalement terminer sa trajectoire en Asie sans préciser le territoire exact. Les Amériques et les Caraïbes disparaissent pour laisser s’installer un nouvel imaginaire.
Les diverses épopées représentées sous forme de pixels laissent des cases vides, rappelant les chaînons manquants de l’histoire. Ces éléments effacés de la grande histoire ont pourtant joué un rôle intermédiaire crucial pour légitimer la narration de l’histoire dominante. Ces cases vides deviennent ainsi de nouveaux sous-continents, formant des axes et des intersections, des carrefours où naissent de multiples interrogations. On peut se demander quelle est la finalité socio-divertissante-éducative du programme qui génère ces portraits attribués par l’auteur alors que l’IA veille au copyright. La réappropriation stylistique d’œuvres phares qui ont traversé le temps renvoie à la façon dont les programmes absorbent le droit d’auteur. Ces cases vides expriment la forme des non-dits, soulignant ainsi leur importance dans la construction du récit historique et de notre compréhension du monde.